0. Présentation rapide de l’Alliance (pour ceux qui ont raté le début du film)
1. Motivations de l’enquête
2. Quelle réalité des signataires institutionnels de l’Alliance ?
2.1 Données brutes
2.2 Analyse et révélations
3. Qu’est-ce qui a vraiment été signé ?
3.1 Données brutes
3.2 Analyse
4. Chiffres et arguments de Lionel Larqué au Sénat
4.1 Affirmations brutes
4.2 Analyse
Présentation rapide de l’Alliance (pour ceux qui ont raté le début du film)
Depuis quelques mois, diverses initiatives visent à remanier les liens entre sciences et société, y compris entre institutions d’Enseignement Supérieur et de Recherche (ESR) et « associations citoyennes » supposées représenter la société et la demande sociale en la matière. Le blog ScienceEtCitoyens vise à en mettre en lumière certains ressorts.
La première initiative consiste en la mission « Science Citoyenne » confiée début mars par le CNRS à Marc Lipinski, dont on trouve une analyse ici.
La seconde consiste au lancement en grandes pompes d’une Alliance Science et Société, se présentant comme associant institutions d’Enseignement-Recherche et associations citoyennes via une charte de l’Alliance, issue des assises de l’ESR en automne dernier. Menée par Lionel Larqué, elle a été invitée es qualité par des élus [voir note 1] à s’exprimer au Sénat le 20 février, puis à l’Assemblée Nationale sous la forme d’un colloque le 21 mars, occasion de diffuser officiellement (notamment via un dossier de presse) ses analyses et requêtes, ainsi qu’une une liste conséquente d’amendements au projet de loi ESR qui sera débattu prochainement. C’est cette initiative que nous analysons ici.
[1]: L’invitation au colloque à l’Assemblée Nationale est signée par les élues Sandrine Doucet, Députée, responsable pour le Groupe Socialiste, Radical et Citoyen du projet de loi sur l’ESR, Dominique GILLOT, Sénatrice, Rapporteure de la loi sur l’Enseignement Supérieur et la Recherche, et Isabelle ATTARD, Députée, Rapporteure pour avis sur le budget de l’Enseignement Supérieur et de la Vie Etudiante, cf invitation officielle .
1. Motivations de l’enquête
Un mouvement peut être l’expression de personnes physiques ou morales plus ou moins représentatives d’un domaine et cherchant à faire valoir une vision commune quant à un état des lieux sur un sujet donné et ce qu’il faudrait en réformer. S’ils se rassemblent sur une charte et des propositions de loi, on s’attend à ce qu’ils avancent des arguments sourcés, et des propositions claires. Chacun peut alors sereinement étudier les arguments et propositions, peser les soutiens, puis éventuellement se positionner sur le fond.
Mais un mouvement peut aussi être une coquille vide au service des objectifs de quelques uns cherchant à faire croire qu’ils sont l’expression de personnes physiques ou morales représentatives, dans l’espoir d’en attirer de prestigieux sur la base de cette façade, afin de donner l’apparence d’une légitimité propre à convaincre le politique. De même, les arguments peuvent s’appuyer sur des données truquées et affirmations infondées ou invérifiables qui, si on les prend pour vraies, peuvent sembler justifier une réforme. Enfin, les propositions peuvent se concentrer sur la seule redistribution de pouvoirs et moyens supposés mieux servir les objectifs réformés, plutôt que réellement sur le fond. Dans ce cas le fond est une mascarade, et se restreindre à en discuter les conclusions revient à se laisser manipuler.
Quand des enjeux de pouvoir, de moyens, de choix politiques d’organisation sociétale – ici, de la recherche, de l’éducation, et de l’interface au grand public – sont en jeu, les tentations et les risques sont bien trop grands pour faire confiance a priori aux proposants quant à qui ils représentent, et quant à ce sur quoi ils fondent leurs arguments.
Concernant cette Alliance Sciences-Société, il suffit de mettre son esprit critique en route et d’examiner les affirmations: des recherches très simples suffisent à faire tomber les masques (à toutes fins utiles, précisons que tous les liens et pages ont été sauvegardées pour prévenir de leur éventuelle disparition).
2. Quelle réalité des signataires institutionnels de l’Alliance ?
2.1 Données brutes
Envisagée mi-novembre 2012 suite aux assises de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR), une première charte de l’Alliance Sciences Société est diffusée en décembre 2012. Elle présente trois catégories de signataires:
- « Premiers signataires », mêlant associations et institutions:
4D, Accueil Banlieue, Accueil Paysan, Agence Limite, Association ANAIS - revue Alliage, Association de la fondation étudiante pour la ville, Association des Délégués Régionaux à la Recherche et à la Technologie, Association française d’Astronomie, Association française des petits débrouillards, Association Internationale de Techniciens Experts et Chercheurs, Association Science technologie société, Centre de Recherche et d’Information sur la Démocratie et l’Autonomie, Centre de Recherche et d’Information pour le Développement, Consortium Jeunesses Innovation Cohésion Sociale, Fondation Internet Nouvelle Génération, Groupe 38, Institut Francilien de Recherche Innovation Société, Institut de Recherche et d’Innovation, La Ligue de l’Enseignement, La réunion des CCSTI, Le Labo de l’ESS, Mouvement Rural des Jeunesses Chrétiennes, Nature Sciences Sociétés Dialogues, No design, Observatoire des sondages, Synchrotron SOLEIL, Vivagora.
- « Organisations d’Enseignement Supérieur et de Recherche en phase de signature« :
Centre National de la Recherche Scientifique, Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle, Idex du Pres héSam - Centre Michel Serres pour l’Innovation, Institut des Sciences de la Communication du CNRS, Institut National de Recherche en Informatique Appliquée, Université Paul Sabatier, Université Paris Sud, Université de Tour.
- « Organisations citoyennes en phase de signature »:
Association Biodiversité Echanges et Diffusion d’Expériences, Cap Digital, Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement, Comité Français pour la Solidarité Internationale, Fédération française des maisons des jeunes et de la culture, Francas, GRDR, Minga, Orée, Peuple et Culture, Planète Science.
Lionel Larqué – le fondateur secrétaire et animateur unique de l’Alliance – a fait une présentation de l’Alliance au Sénat le 20 février 2013 lors de son audition à la table ronde sur la « gouvernance de la culture scientifique, technique et industrielle, bilan et perspectives » organisée par la commission à la culture, l’éducation et la communication (nous analyserons en section 4 de l’argumentation qu’il y déploie).
Il y parle de « 25 universités signataires de l’Alliance, et de grands laboratoires » (à 5’50 dans la vidéo de l’audition ).
Sur la version de la charte figurant dans le dossier de presse de leur colloque du 21 mars 2013 à l’Assemblée Nationale (NB: il en existe une copie datée du 6 mars), on trouve une nouvelle liste organisée en deux catégories :
- « Organisations d’enseignement supérieur et de recherche signataires »:
Association des Délégués Régionaux à la Recherche et à la Technologie, Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle, Centre de Recherche et d’Information sur la Démocratie et l’Autonomie, Institut Francilien de Recherche Innovation Société, Institut de Recherche et d’Innovation, Synchrotron SOLEIL, Université Paul Sabatier.
- « Autres organisations signataires »:
4D, Accueil Banlieue, Accueil Paysan, Agence Limite, Animafac, Association ANAIS-revue Alliage, Association Nord Internet Solidaire, Association de la fondation étudiante pour la ville, Association française d’Astronomie, Association française des petits débrouillards, Association Internationale de Techniciens Experts et Chercheurs, Association Science technologie société, Centre de Recherche et d’Information pour le Développement, Comité Français pour la Solidarité Internationale, Consortium Jeunesses Innovation Cohésion Sociale, Fondation Internet Nouvelle Génération, Francas, Groupe 38, InsLa Fabrique de blogs, La Ligue de l’Enseignement, La réunion des CCSTI, Le Labo de l’ESS, Minga, Mouvement Rural des Jeunesses Chrétiennes, Nature Sciences Sociétés, Dialogues, No design, Observatoire des sondages, Orée, Peuple et Culture, Vivagora.
2.2 Analyse et révélations
– Des organisations d’ESR présentées comme « en cours de signature » en décembre, ni le CNRS, ni l’INRIA (dont le sigle développé est écorché), ni l’institut des Sciences de la Communication du CNRS, ni l’université de Tours (orthographié « Tour »), ni celle de Paris-sud ne sont signataires en mars. En fait, seuls 2 des 8 figurent encore dans la rubrique. Force est de constater que les signatures étaient davantage espérées que « en cours ».
– Au Sénat et à diverses occasions, Lionel Larqué avance que 25 universités ont signé la charte de l’Alliance. Mais il n’y en a aucune trace écrite nulle part, ni le détail nominatif, et la liste diffusée 15 jours à peine après cette déclaration n’en comporte qu’une: L’UPS de Toulouse. Il est difficile de croire qu’elles se sont toutes rétractées dans les deux semaines, ou que la grande opération médiatique à l’Assemblée Nationale ait oublié de lister ces signataires académiques si courtisés. Jusqu’à preuve du contraire, cette affirmation est donc très vraisemblablement infondée. Elle a pourtant été employée devant les sénateurs dans une présentation officielle.
– Par contre, le dossier de presse largement diffusé et distribué lors du colloque à l’Assemblée Nationale insère inexplicablement p18-19 parmi ses annexes une pétition indépendante de celle de l’Alliance, le « Manifeste pour des universités ouvertes sur les territoires« , contribution de l’AFEV aux Assises de l’ESR de 2012, effectivement signé par 25 président-e-s (ou assimilés), vices-présidents, anciens présidents d’universités. En leur nom propre, non celui de leur université, mais surtout, sur une toute autre pétition que celle de l’Alliance !
Pourquoi donc avoir mélangé cette pétition d’un autre groupe au dossier de presse présentant l’Alliance ? Est-il imaginable que l’animateur de l’Alliance puisse sincèrement se tromper à répétition et dans des interventions officielles en présentant les signataires d’une pétition tierce comme soutiens de l’Alliance ? Comment ne pas imaginer que la confusion soit intentionnelle, et vise à légitimer un projet d’amendements en laissant croire à un large soutien institutionnel ?
Par ailleurs, le dossier de presse du colloque disponible sur le site de l’Alliance… s’est allégé de ces deux pages quelques jours après le colloque !
– Le tout premier organisme d’Enseignement Supérieur et de Recherche (ESR) signataire est l’Association des Délégués Régionaux à la Recherche et à la Technologie, dont le président François Bouvier émarge à ce titre à quantité de CA, CS, tables rondes (dont l’animation de la table ronde Lipinski-Julliard au colloque de l’Alliance à l’Assemblée Nationale) et signatures de pétitions. Une enquête simple montre que non seulement cette association n’est en rien un organisme d’enseignement-recherche, mais en plus qu’elle ne représente qu’une personne: son (ex?)président F. Bouvier [voir note 2], et n’a plus qu’une activité: les participations es qualité de F. Bouvier mentionnées plus haut, et la signatures par l’ADDRT de toutes sortes de pétitions (on peut s’en faire une idée en googlant « Association des Délégués Régionaux à la Recherche et à la Technologie » et « association des DRRT » ).
Le problème est que cette dénomination peut (fortuitement?) facilement être confondue avec le réseau des Délégués Régionaux à la Recherche et à la Technologie, coordonnant les délégations régionales chargées de l’action déconcentrée de l’État dans les domaines de la recherche, de la technologie et de l’innovation, de la diffusion de la culture scientifique et technique. Bref, la mention de cette (ex)association dans cette rubrique fait croire au soutien officiel d’un poids lourd institutionnel, alors qu’il n’en est rien (on peut d’ailleurs s’inquiéter de cette ambiguïté soit présente dans toutes sortes de participations et signatures officielles de l’ADRRT). Si l’homonymie n’est pas illégale, le fait de classer comme organisme d’enseignement supérieur et de recherche une association qui ne l’est nullement est malhonnête, et en l’espèce, trompeur. Il est difficile de croire que ce ne soit pas volontaire.
– Concernant les associations signataires, comme souvent en pareil cas il est difficile de savoir ce que « pèsent » la plupart d’entre elles, à l’exception de quelques grands acteurs comme les Petits Débrouillards ou l’Association Française d’Astronomie. En la matière il est essentiel de ne pas se laisser impressionner par les dénominations globalisantes (« association internationale« , « centre de recherche« , « observatoire« , « labo« , « institut« ) ou catégorielles (« Assoc. de Techniciens Experts et Chercheurs » [voir note 3]) et de regarder plus en détail les autoprésentations et actions dans les sites web respectifs, ainsi que la composition des CA et éventuels CS.
Certaines sont en fait des micro-entreprises, d’autres des regroupements sans vraie existence légale (groupe 38), plusieurs très marquées dans la ruralité, la solidarité urbaine ou l’alter-mondialisme, voire très politisées, toutes choses très respectables mais dont on peut se demander pour plusieurs le rapport avec le sujet.
Concernant la « réunion des CCSTI« , la France étant un pays latin et compliqué prompt aux fâcheries, il est important de savoir que la Réunion ne représente pas tous les CCSTI mais se limite à quelques-uns d’entre eux, la grande majorité ayant fait sécession en 2009 pour créer l’Association des Musées et CCSTI ( AMCSTI ). La Réunion est bien sûr parfaitement légitime à signer ce que bon lui semble, par contre il ne faut pas sur-interpréter sa dénomination (historique).
Par ailleurs, on retrouve très souvent quelques mêmes noms dans les CA (Conseils d’Administration) et CS (Conseils Scientifiques) des associations signataires – à commencer par ceux de L. Larqué et F. Bouvier – , ce qui peut laisser penser que quelques personnes ont fait signer beaucoup de « leurs » associations.
– Fin novembre 2012, les signataires de l’Alliance étaient des personnes physiques, dont les organismes et associations d’appartenance étaient précisés, et non ces personnes morales elles-mêmes. Le compte-rendu mentionne » l’Alliance Sciences Société lancées le 17 novembre au CNAM par 50 établissements de l’ESR, mouvements citoyens et d’éducation populaire et entreprises« , mais dont les noms n’apparaissent sur aucune liste (et les établissements ESR prétendus « en cours de signature » en décembre ne sont que 8). De plus, le texte d’invitation à ladite réunion au CNAM présente celle-ci comme « à destination des responsables et élus en lien avec l’ESR« . Se pourrait-il qu’être venu participer à cette réunion suffisait pour être décompté comme organisme « lanceur » et « (presque) signataire » de l’Alliance Sciences-Société ?
[2]: Cette association regroupait les délégués régionaux retraités. Mais son activité s’est progressivement éteinte, et depuis des années il n’y a plus ni élections de CA, ni AG validant les comptes et le rapport moral, ni en fait aucune réunion après 2007, d’après son 4ème et dernier président F.Bouvier lui-même (et confirmé par d’autres sources). Ni les recherches google, ni même le blog prolixe de F.B. ne font mention de la moindre activité de cette association. S’il est tout à fait respectable de vouloir garder en vie et relancer une association, il n’est par contre pas honnête d’engager sans légitimité élective le nom de celles-ci dans diverses opérations médiatisées, et moins encore de la faire passer pour un organisme d’ESR.
[3]: Par exemple, l’Association Internationale de Techniciens Experts et Chercheurs est plus internationaliste qu’internationale, et « créée par des urbanistes, économistes, cadres d’entreprises, juristes…, dans une volonté de (re)lier la pratique professionnelle à l’engagement politique« ; ses quatre groupes de travail traitent de droit au logement, de (non)transparence du lobbying au Parlement Européen, de construction d’alternatives à la crise multiforme actuelle du capitalisme, et d’écologie, justice sociale et solidarité. Toutes choses respectables, mais on est ici bien loin de la science comme de la culture scientifique, dont l’association n’est aucunement une sorte de « syndicat professionnel » comme on pourrait l’imaginer d’après sa dénomination générique. Il ne s’agit aucunement ici de mettre en cause cette association, mais de rappeler au lecteur ce point essentiel d’esprit critique consistant à ne pas projeter un contenu, un périmètre et une légitimité thématique ou représentative sur la seule base d’une dénomination. S’agissant ici d’une liste de signataires, on est en présence de communication sur des soutiens symboliques ou supputés représentatifs, il est donc essentiel de soupeser la surface réelle de ces soutiens vis à vis de la thématique débattue.
3. Qu’est-ce qui a vraiment été signé ?
3.1 Données brutes
Comme on l’a vu, un certain nombre d’associations et d’établissements ont tout de même signé une charte de l’Alliance Sciences-Société.
D’un autre côté, un dossier de presse de 24 pages présentant l’Alliance et ses requêtes a été largement diffusé et distribué à l’occasion du colloque du 21 mars à l’Assemblée Nationale, à l’invitation d’élus [voir note 1].
Celui-ci se compose:
– d’une couverture au logo de l’assemblée nationale et titrant « politiques Sciences Société« ;
– d’un résumé sous forme de quatre requêtes de réformes, et chiffrant 43 ou 49 amendements selon la version du pdf;
– d’un sommaire;
– d’une introduction (p4-5) « Pour un changement de paradigme Sciences-Société« ;
– de deux textes d’une page (p6-7) présentant « 4 défis » et « 12 travaux » précisant les réformes souhaitées;
– de 5 pages (p 8-12) présentant le colloque du 21 mars: programme, introduction aux quatres tables rondes, liste et biographie des intervenants.
Vient ensuite une série d’annexes:
– 4 pages (p14-17) consacrées aux (43 ou 49) amendements et listant les ajouts et réécritures d’articles et alinéas de la loi, concernant les chapitres suivants: Les missions du service public de l’enseignement supérieur, La politique de la recherche et du développement technologique, Les formations de l’enseignement supérieur, Les établissements d’enseignement supérieur, Les personnels de l’enseignement supérieur, Ouverture d’un Titre VII Politique Sciences -Société.
– La pétition de l’AFEV (p18-19), contribution aux Assises de l’ESR mentionnée plus haut (une page gauche de texte, et une page de droite constituée uniquement de signataires), et qui disparaitra du document quelques jours après le colloque. Dans le sommaire, cette partie s’intitule « le manifeste sur la responsabilité sociale des universités« .
– Un chiffrage (p20) des moyens demandés aux différents bailleurs institutionnels totalisant 250M€ de contributions directes – dont la moitié par redéploiement de moyens allant actuellement à d’autres, y compris la moitié du budget des CCSTI – et 50.000 « emplois d’avenir » ( deux autres agrégats de 290M€ de « politiques publiques » et 500M€ d' »investissements publics » sont mentionnés).
– Un agenda (p21) de l’Alliance, consistant pour 2013 en : une diffusion de note sur « Cultures et pratiques numériques & Emplois« , deux colloques visant les lois Décentralisation (juin) et Economie Sociale et Solidaire (septembre), puis une stratégie « européenne et internationale » en 2015.
– La « charte de l’Alliance Sciences Société » (p22-23), dont on a listé et commenté les signatures plus haut.
Le tout est clos par un dos de couverture assorti.
3.2 Analyse
La charte, signée à peu près par les mêmes depuis novembre, contient des positionnements de portée générale et relativement vagues.
Le dossier de presse du 21 mars présente, en sus de cette charte, 11 pages très engagées: 5 de requêtes précises, 4 d’amendements, 1 de chiffrages conséquents, et 1 de planning d’actions.
D’où la question:
les signataires de la charte de l’Alliance soutiennent-ils aussi le reste de ce qui est demandé au nom de l’Alliance dans le dossier de presse, comme les destinataires de ce dossier (politiques, élus, responsables ESR, journalistes, grand public) pourraient le croire par cet effet de juxtaposition ? Ont ils été consultés ? Ont-ils seulement été informés ?
4. Chiffres et arguments de Lionel Larqué au Sénat
lors de son audition au nom de l’Alliance Science Société lors de la table ronde du 20 février 2013 sur la « gouvernance de la culture scientifique, technique et industrielle, bilan et perspectives » organisée par la commission à la culture, l’éducation et la communication ( disponible en intégralité ici, durée 13’34 ).
4.1 Affirmations brutes
(citations en substance)
a). Chiffrages et déductions
a1: (5’18) Depuis 1999 jusqu’à aujourd’hui, entre 35 à 50 % des emplois créés pour les jeunes qui ont des formations du supérieur est dans le monde associatif.
a2: (5’29) Le monde associatif n’est pas « calculé » par l’enseignement supérieur dans leur gouvernance. Elles sont intéressées par l’industrie locale, c’est légitime et structurant, mais […]
a3: l’endroit où les mômes et les jeunes formés atterrissent ne fait pas partie des préoccupations […]
a4: de la gouvernance des établissements d’enseignement supérieur et de recherche.
a5: (9’47) Le pays a tous les atouts pour articuler l’offre à la demande sociale: […] un nombre de médiateurs sur le terrain entre 110.000 et 140.000 personnes
a6: (4’35) Chiffres 2012: absolument rien ne montre qu’il y aurait une désaffection et un désintérêt des jeunes pour les filières techniques et scientifiques.
a7: Entre 2004 et 2012, nous avons +9.8% d’élèves dans les filières scientifiques; il n’y en a jamais eu autant.
b). Soutiens
b1: (5’50) L’Alliance est structurée en 5 pôles:
b2: les universités – 25 ont aujourd’hui signé la charte de l’Alliance Science Société – , des grands laboratoires et équipements, des mouvements d’éducation populaire, et citoyennes, de veille citoyenne, et le monde numérique;
b3: (6’00) les 35 plus gros promoteurs de la culture numérique en France font partie de cette Alliance.
b4: (7’46, après e2 ) ce qu’on souhaite dépasser avec la réunion des CCSTI, […]
c). Vocabulaire
c1: (9’42) Ce qu’on constate, c’est une laïcisation et sécularisation des pratiques Scientifiques et Techniques.
c2: (8’30) La médiation est un métier qui consiste à valoriser ce que font les labos, en gros c’est de la propagande soft, de la promotion soft.
c3: (8’05) « Politique de la Culture Scientifique et Technique et Industrielle » n’est pas le bon mot à utiliser; une « politique Recherche Science Société » serait un tout petit peu plus englobante et visant mieux interactions et synergies.
c4: (3’12) Intégrer au périmètre ce qui se fait aujourd’hui sur le terrain: les pratiques écologiques et agricoles des jeunes dans les jardins, explosions des pratiques numériques, veille citoyenne et contre-expertise.
c5: (8’54) Les chiffres: explosion de la pratique Scientifique et Technique: il y a de plus en plus de jeunes qui pratiquent la réparation, le bidouillage, le jardinage; la biodiversité, la biodiversité urbaine dans les quartiers défavorisés, etc,etc.
d). Citation
d1: (2’18) La politique de culture scientifique et technique a réussi, mais elle est obsolète, parce-qu’arrivée au bout de son chemin. Quand une politique a réussi, il est temps en changer, comme le disait Edgard Pisani en 1965.
e). Affirmations et déductions
e1: (8’30) La médiation est un métier qui consiste à valoriser ce que font les labos, en gros c’est de la propagande soft, de la promotion soft, […]
e2: Bref, on demande de faire des fonctions de médiation qui ne correspondent pas à la demande sociale;
e3: (8’47) Plus on explose l’offre, moins on répond a demande sociale.
e4: (7’05) 30 ans d’investissement exclusivement dans les CCST génère une explosion de l’offre.
e5: Les centres sont structurellement enjoints d’élargir améliorer et promouvoir de l’offre,
e6: et cela s’inscrit au bout de 30 ans par une dérive muséale qui consiste à juste avoir des consommateurs d’activités muséographiques.
e7: (9’12 , suite à c5) Donc il y a nécessité d’un réagencement institutionnel.
4.2 Analyse
La tâche est rendue ardue par le fait que l’orateur utilise un vocabulaire et des expressions approximatives et changeantes pour désigner – mais peut être pas toujours – une même chose (par exemple établissements supérieurs, universités, et établissement de recherche semblent désigner la même chose, mais on verra qu’il y a pire en matière d’ambiguïtés), qu’il « mange » parfois les mots voire des bouts de phrase, et que les listes sont difficiles à suivre voire ne semblent pas toujours se finir. Il n’en reste pas moins un florilège d’énormités rhétoriques.
a). Chiffrages et déductions
a1: « 35 à 50 % des emplois créés pour les jeunes qui ont des formations du supérieur est dans le monde associatif« est un chiffre aussi surprenant que démesuré, on aimerait savoir d’où l’orateur le tire et comment il est construit. Par ailleurs il parle d’emploi « créés »: s’agirait-t’il spécifiquement de postes nouveaux apparus pendant 13 ans ? 50% des emplois (stock), et 50% des créations d’emploi (flux), ça n’est pas du tout la même chose. Mais de toute façon même dans ce cas, le chiffre est suffisamment peu vraisemblable pour se passer de source.
Et (a3) signifie sans ambiguïté que le monde associatif serait « le lieu où les jeunes issus du supérieur atterrissent« .
Sachant que le secteur associatif est essentiellement non-marchand, et privé de subsides d’État comme l’orateur le suggère, on comprend mal d’où proviendrait le financement par les associations du salaire absorbé par ces 35 à 50% des jeunes diplômés du supérieur. Ou bien on additionne tout bénévolat fait quelques semaines par un jeune entre son diplôme et son 1er emploi salarié, voire, le bénévolat que l’on fait hors de son emploi ? mystère, et ce serait de toutes façon une définition bien tordue de « % des postes ».
Le regroupement (a1,a2,a3,a4) produit un syllogisme admirable. Résumons le:
(a1): entre un tiers et la moitié des jeunes diplômés du supérieur seraient embauchés par le secteur associatif. (a2): L’enseignement supérieur l’ignore. Les universités s’intéressent à ce qui leur semble légitime en termes de débouchés, comme l’industrie locale, (a4) mais elles négligeraient cet autre secteur essentiel des débouchés de leur filières. (a5) Sachant que les représentants des débouchés devraient co-gouverner les établissements d’ESR, les associations citoyennes devraient donc co-gouverner l’ESR. CQFD.
a5: « entre 110.000 et 140.000 médiateurs sur le terrain », qu’il faut entendre comme associatifs, voilà encore un bien gros chiffre. D’où sort-il ? Comment est-il construit en termes de rôles et durées ? Qu’inclut-il comme structures et domaines ? (cf périmètres à géométrie variable dans la section « vocabulaire »).
a6: Concernant les évolutions des effectifs dans les filières, là encore, comment citer des chiffres sans dire ni comment ils sont construits (qu’est-ce qui est inclus ou non dans « enseignement supérieur » en termes de filières et de disciplines ?), ni pourquoi il est pertinent de choisir telles dates de comparaison: pourquoi comparer entre 2004 et 2012 pour critiquer une affirmation portant sur l’après 1995 ? Concernant l’entrée en université scientifique, la courbe issue de la série complète sur 40 ans est de ce point de vue éloquente: une chute vertigineuse de 55% depuis 1995, qui se stabilisent ces dernières années. En choisissant bien son intervalle dans la période récente, les fluctuations actuelles permettent de faire apparaître la tendance que l’on veut. Par ailleurs le nombre d’entrants n’est pas la bonne mesure du nombre de candidats à l’entrée: quand il existe une sélection, un numerus clausus peut être maintenu que les candidats augmentent ou diminuent. Quoi qu’il en soit, que s’agissait-il de prouver avec ce long argument ? Mystère. Alors qu’il y aurait été intéressant de discuter par exemple du lien allégué entre candidatures en filières scientifiques et attrait pour les sciences.
b). Soutiens
b1: Cette structure en 5 pôles n’apparaît pas dans les textes diffusés par l’Alliance.
b2: « 25 universités signataires de la charte de l’Alliance », on a vu plus haut que c’était vraisemblablement dénué de tout fondement.
b3: Qui seraient donc ces « 35 plus gros promoteurs de la culture numérique en France » qui « font partie de cette Alliance » ? Par ailleurs la charte de l’Alliance n’a que 37 signataires, et bien plus de 2 n’ont pas l’air de traiter d’informatique. Ou bien on peut « faire partie » de l’Alliance sans en être « signataire » ? Le mystère des nombreux soutiens totalement invisibles dans les sites et dossiers de presse s’épaissit.
b4: L’appel à changement drastique de politique et d’usage des moyens concernant les CCSTI semble rude, mais puisqu’il est adoubé par ceux-ci via la réflexion commune avec la « réunion des CCSTI« , c’est que cette réforme doit être fondée et cruciale… N’était-ce le fait que l’essentiel des CCSTI ne figurent plus dans cette Réunion comme on l’a vu plus haut.
c). Vocabulaire
c1: « Laïcisation et sécularisation »: Cela sonne doublement comme l’affirmation que les scientifiques « officiels » seraient le clergé de l’église et religion que serait la science « officielle », et que la vraie légitimité des savoirs, forcément démocratique, résiderait dans le citoyen non-professionnel.
c2: Un dicton populaire dit que « qui veut noyer son chien l’accuse d’avoir la rage« . Pour prouver que le rôle essentiel doit être confié aux associations citoyennes au fort détriment des dispositifs actuels de médiation scientifique, il suffit donc, façon procès staliniens, de jouer sur les mots et définitions pour y parvenir, ce qui s’achèvera en section (e). Mais l’amorce débute ici: la médiation scientifique faite par et autour des chercheurs ne serait et ne pourrait structurellement n’être que de la promotion visant à vendre leurs résultats. Il ne semble pourtant pas que le public soit assommé en permanence des derniers résultats de mathématique pure ou de physique quantique, ni qu’on lui boude les mystères de l’électricité, de la lumière, du cycle de l’eau, du système solaire ou de la cellule vivante. Bref, l’affirmation est aussi péremptoire que dénuée d’argumentation.
c3: Le glissement sémantique est assez grossier, malgré la tentative de minimisation par l’ellipse du « un tout petit peu plus englobant« . Reformulons: « Nous proposons de remplacer la culture scientifique par la recherche citoyenne« .
c4,c5: Même principe, cette fois par changement du thermomètre: « si je décide d’appeler ‘culture scientifique et technique’ toute action et savoir-faire non-professionnel, alors ça représente bien du monde, injustement ignoré de l’actuelle médiation scientifique« . Quant à savoir si ça fait plus de monde qu’autrefois (‘autrefois’ étant à définir), on aimerait tout de même des preuves qu’on bricole ou jardine d’avantage aujourd’hui que dans les années 50, 60 ou 70.
Et de toutes façons il faut aussi fournir quelques chiffres absolus, parce-que si un deuxième enfant de cité vient planter des fleurs après un premier, cela fait certes une croissance « explosive » de 100% en relatif, mais pas forcément significative en absolu. Par ailleurs, si cette « explosion de pratiques » inclut tout ce qui se fait dans le cadre de l’école et de structures péri-scolaires « officielles », est-il vraiment légitime de dire que c’est une activité négligée par l’État ?
Enfin, faut-il vraiment voir une « pratique de Sciences & Techniques » si l’on surfe le net en 2012 là où en 1950 on feuilletait l’illustré dans le même esprit, sous prétexte que le papier est remplacé par un écran ? (« je ne surfe pas sur youtube, je fais des sciences et techniques« ).
d). Citation
Il s’agit ici d’invoquer la parole légitimante d’un expert sur un enjeu comparable. Sauf que… la citation est tronquée, au point d’en changer le sens. La citation d’Edgard Pisani complète est : « Quand une politique a réussi, c’est qu’elle a changé le monde auquel elle s’appliquait. Et puisque le monde a changé, il faut changer de politique« . Autant concernant le développement de l’agriculture (objet de la déclaration d’E. Pisani) on peut comprendre qu’un objectif a été définitivement atteint, autant concernant celui de la culture scientifique chez les citoyens, et en particulier des jeunes, il est difficile de comprendre par quelle logique avoir atteint l’objectif à un moment donné légitimerait de ne plus s’adresser aux générations suivantes.
e). Affirmations et déductions
Les regroupements (e1,e2,e3) et (e4,e5,e6) répètent le même paralogisme visant à préparer la conclusion (e7) justifiant la réforme livrée clé en main dans le dossier de presse. Rephrasons ce qui ressemble à une attaque en règle contre la médiation scientifique, et à une défiance contre les professionnels: « La médiation faite par les gens du métier, c’est et ça ne peut définitivement être que de la propagande, il est impossible que ça réponde à la demande sociale, structurellement. En plus c’est inflationniste jusqu’au gaspillage éhonté tout en rendant les gens plus passifs. » On peut répéter deux fois chaque morceau, ça ne fait pourtant pas avancer d’un iota la démonstration de chaque affirmation:
– « la médiation scientifique ne répondrait pas à la demande sociale »
– « et il serait impossible qu’elle le puisse jamais »
– « elle ferait, et ne pourrait faire, que de la propagande, et non pas vulgariser les sciences. »
– » elle ne fait rien – ni ne le pourrait – sous forme d’activités participatives »
– « l’argent dépensé chaque année sert uniquement à fabriquer de nouveaux musées (passifs), et il y en a donc bien trop maintenant« .
e7: nous y voila. Poursuivons le rephrasage: « je vous ai affirmé que la demande sociale n’était pas satisfaite, qu’elle ne pouvait pas l’être avec eux, et que c’était de pire en pire, mais c’est la conséquence de la loi. Donc la réforme que nous vous fournissons est indispensable« . Et comme les associations citoyennes s’appellent « citoyennes », elle satisferont naturellement la demande sociale. CQFD.
A propos de « démocratie », de « demande sociale » et de « d’associations citoyennes »:
– Ce texte présente les associations citoyennes comme la panacée alternative au « système professionnel » intrinsèquement chargé de tous les maux. Mais en quoi ces associations seraient-elles intrinsèquement à l’abri de tout biais et dérives ? (a fortiori si elles se retrouvent richement dotées, et de surcroît en situation de co-gouvernance des institutions d’ESR).
– Ce texte, comme celui de M. Lipinski concernant sa mission, présente les associations citoyennes comme dépositaires exclusives de la demande sociale. Mais qu’est-ce qui établie la réalité de cette représentativité ? De quel oracle connaissent-elles les demandes sociales, dans leurs nuances et leur exhaustivité ? Une bonne partie de ces associations ne seraient-elle pas orientées par un militantisme, ce qui est tout a fait respectable, mais qui ne peut aucunement se prévaloir ni d’une « indépendance » neutre, ni d’une légitimité à représenter la société dans son ensemble ? Et s’il s’agit de distribuer moyens et pouvoir, comment et sur quels critères établira-t-on quelles sont les associations « représentant la société » ?
– M. Lipinski et L. Larqué distinguent trois types de liens sciences-société: sciences participatives, collaboratives ou citoyennes, selon que le programme de recherche et la création de connaissance sont pilotés par le chercheur, par les deux bords, ou par l’association citoyenne. Le caractère distancié ou adhérent du chercheur est très floue selon les déclarations, les PICRI (Partenariats institutions citoyens) – que Marc Lipinski a instauré en région île-de-France quand il y était élu EELV vice-président chargé de l’enseignement supérieur – ayant par exemple financé un projet de l’association « citoyenne » anti-OGM CRIIGEN en lien avec le chercheur Christian Vélot… membre et au Conseil Scientifique du CRIIGEN ! S’il s’agit de généraliser ce modèle à la France, et ce en remplacement de l’actuelle médiation scientifique, en la dotant de moyens et pouvoirs forts de surcroît il semblerait pour le moins crucial de définir de puissants garde-fous !
NB: Nous vous avons épargné les « c’est bon pour l’emploi, le développement rural et l’environnement« , destinés à faire briller les yeux des politiques (surtout après le couplet disant qu’il ne s’agit pas de nouveaux financements mais juste de « redéploiements », ces derniers étant présentés ici comme un petit quelque-chose permettant l’existence d’une modeste alternative, et là comme 50% du budget actuel des CCSTI plus d’autres subsides plus 50.000 postes ).
En exercice au lecteur, on laissera l’analyse de cette autre longue interview aux ressorts similaires.
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